Jeux de volumes
Si la ligne de Strauven est agitée, ses compositions de façade le sont tout autant. Jouant avec les retraits et les saillies, il démultiplie les plans de ses élévations, leur conférant une réelle plasticité volumétrique, propice aux jeux d’ombres et de lumière. Cette animation est de deux types.
La première, la plus délicate, concerne la « peau » de briques de la façade, décomposée en différents plans, sur une profondeur de quelques centimètres. Ces jeux d’avancées et de retraits légers, Strauven les obtient en se réappropriant les traditionnels pilastres, lésènes, arcades aveugles et arcatures. À grand renfort de corbeaux, coussinets, culots et autres consoles ouvragées, il crée de subtils systèmes d’encorbellement.
Une observation attentive des deux travées du no 30 rue Saint-Quentin révèle, par exemple, la présence de non moins de six plans de pans de maçonnerie différents.
Le second type d’animation touche aux volumes de la façade. Strauven joue avec les notions d’avant- et d’arrière-plans, de dehors et dedans. Ses façades prennent d’assaut l’espace extérieur, au moyen d’oriels, de logettes, de bow-windows et de balcons, couverts ou non, mais elles se creusent également, en loggias et porches d’entrée. De plans variés – rectangulaires, triangulaires, polygonaux, cintrés –, ces saillies et retraits se combinent à l’envi.
Dans cette façade, tout comme dans sa jumelle conçue en miroir, l’avant-corps qui domine le jardinet passe audacieusement d’un plan rectangulaire à un plan triangulaire, se flanquant de deux terrasses saillantes et se couvrant d’une troisième.
Les loggias creusant les façades rappellent l’architecture balnéaire en vogue à l’époque. Permettant d’être tout à la fois dehors et dedans, ces larges ouvertures sont conçues pour profiter du paysage… et pour être vu. Plutôt que d’ouvrir sur la mer, les façades bruxelloises de Strauven donnent souvent sur des espaces dégagés, un square comme à Saint Cyr ou une large artère comme le boulevard Clovis et l’avenue Louis Bertrand. Sans doute considérées comme une perte de place, de nombreuses loggias dessinées par l’architecte n’ont toutefois pas été réalisées ou ont été closes d’un châssis après-coup.
Avenue Louis Bertrand, dans le voisinage immédiat du célèbre Palais des Sports conçu en 1910 et démoli en 1967, Strauven bâtit côte à côte une maison bourgeoise et un immeuble de rapport. La façade de la maison, dont le projet figure à la page précédente, montre des châssis en lieu et place des loggias prévues initialement.
Dans sa quête d’animation, Strauven trouve dans les parcelles d’angle de formidables terrains de jeu. Ainsi met-il en œuvre, à l’angle de l’avenue Louis Bertrand et de la rue Josaphat, une version recomposée du traditionnel pan coupé : porté en encorbellement à partir du premier étage, celui-ci cède la place, aux deux derniers niveaux, à une tourelle carrée en saillie, recréant l’angle droit des deux rues. Le dôme qui couronnait l’ensemble a malheureusement disparu.
Les parcelles complexes, résidus de lotissement, permettent également à l’architecte d’exercer son ingéniosité dans l’élaboration des plans intérieurs. Strauven acquiert ainsi plusieurs terrains ingrats en forme de triangle effilé, sans doute peu onéreux. Pour l’un d’eux, rue de Jérusalem, il dessine une ample façade de huit mètres de large, qui ne laisse rien paraître du rétrécissement arrière.
Autre caractéristique de Strauven : la verticalité. Si celle-ci est propre à l’architecture bruxelloise, tant par la tradition du parcellaire étroit que par l’influence de l’esthétique gothique, Strauven l’assume pleinement et l’accentue même dans ses compositions, à grand renfort de pilastres, pignons, pinacles et épis. La plupart de ses réalisations sont dotées de terminaisons monumentales, sous la forme d’une lucarne à arcs-boutants, d’une tourelle à dôme, d’un belvédère ou d’une coiffe métallique se découpant dans le ciel.