Maison personnelle
Rue Luther 28
Rue Calvin 5 Bruxelles Extension Est
Rue Calvin 5
AVB/TP 2921 (1902-1923), 15250 (1909)
En 1902, l’architecte de 24 ans qui parachève au square Ambiorix son incontestable chef-d’œuvre, la maison de Saint Cyr, songe à élever pour lui-même une maison similaire. Le prix des terrains autour des squares étant hors de portée de sa bourse, il acquiert dans le quartier une parcelle regardant un espace vert – l’îlot arboré d’une morgue – propre à une nouvelle application d’une façade largement ouverte, sur le mode balnéaire. Du terrain triangulaire situé à l’angle des rues Luther et Calvin, il revend immédiatement la pointe pour ne conserver qu’un lopin coudé de 3,75 mètres de large, soit 25 de moins qu’à Saint Cyr. Une opération qui lui permet de rembourser rapidement son emprunt tout en lui offrant un beau challenge architectural.
Comme la rue Luther n’offre pas de jardinets avant, c’est dans l’alignement des façades que Strauven dresse sa grille, devant une loggia qui superpose les portes vitrées du demi-sous-sol et du bel étage. Le dispositif est inédit : à la manière des cours anglaises, mais intégrées ici au sein même de la maison, une volée tournante descend à droite vers la petite salle à manger, tandis qu’une seconde monte à gauche vers la terrasse du salon, pièce d’entrée de la maison.
Strauven reprend l’idée de l’anneau de Saint Cyr, qu’il applique cette fois au rez-de-chaussée. Abandonnant le coûteux fer forgé prévu pour la grille au profit de panneaux de fonte, il remplace les trois-quarts de cercle de son projet par une grande arcade à cintre métallique resserrée en fer à cheval, touche orientale qu’il affectionne. Subtil détail, l’arc s’épaissit vers le haut pour se donner un mouvement ascendant.
A l’ntérieur, comme à Saint Cyr, Strauven place stratégiquement sa cage d’escalier au centre de la maison. Implantée dans l’angle selon un plan pentagonal et jouissant d’un éclairage zénital, elle relie à chaque niveau les pièces avant, vers la rue Luther, et la pièce arrière, donnant sur la rue Calvin. Cette implantation d’angle, et non latérale, a permis aux pièces avant et arrière de conserver une largeur « normale » de 3,45 mètres.
Une fois son projet introduit, l’architecte commence à bâtir sans attendre l’autorisation des responsables de l’Urbanisme. Ce qui ne manque pas de contrarier ces derniers, qui constatent des irrégularités architecturales, notamment un manque de profondeur pour la cour arrière. Une menace de démolition est lancée mais, après quelques échanges véhéments, Strauven s’incline et modifie ses plans : la façade arrière est reculée de 80 centimètres, au détriment de l’étendue de la salle à manger du bel étage. Afin de remédier à ce raccourcissement, l’architecte modifie le sens giratoire de son escalier pour pouvoir insérer sous les premières volées une alcôve à trois pans, de 80 centimètres de profondeur, qui accueille la cheminée de la salle à manger.
La création de cette alcôve a nécessité, côté salon, la suppression de la paroi de l’escalier. Cette suppression s’est avérée bénéfique, et même moderne pour l’époque, dilatant l’espace et rendant visible la belle révolution de l’escalier. Le lanterneau, évoquant par sa forme un cerf-volant, a été garni d’un sobre vitrail jaune et blanc
Une photo prise en 1902 en cours de chantier permet de visualiser, en jaune, le retrait imposé pour la façade arrière. Elle montre aussi le flanc gauche de la construction, constitué d’un colombage de briques et fers assemblés en losanges, technique préconisée par Strauven pour réduire l’épaisseur des murs.
Ajoutons enfin que contrairement à Saint Cyr, Strauven ne conçoit pas de décors variés pour l’intérieur de sa propre maison. Les escaliers recèlent néanmoins quelques détails Art nouveau : un départ et des balustres élégants dessinés par l’architecte, ainsi que de petites consoles de bois aux découpes caractéristiques.
Malmenée au XXe siècle, la maison a bénéficié d’une restauration minutieuse : les couleurs originelles de la façade ont été restituées ou ravivées et l’inélégant parapet de briques à pans coupés aménagé par Strauven pour des raisons d’économie a laissé place à la logette prévue au projet. La façade a ainsi retrouvé l’animation « retrait-avancée » chère à l’architecte.
AVB/TP 2921 (1902-1923), 15250 (1909)